IUFM Franche-Comté: Alain Etchegoyen - Le Monde - 4 novembre 1997 star

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1. Il reste encore quelques intellectuels pour sortir leur revolver dès qu'ils entendent le mot de morale. Saisis d'un spasme pavlo­vien, ils entendent faire passer leur propre phobie pour un raisonnement philoso­phique. Ainsi Michel Onfray, dans l'esthé­tique et surannée posture du « rebelle » nous donne+il le spectacle d'une confu­sion peu propice au débat démocratique : la volonté de renforcer la « morale civique » et l'« éducation à la citoyenneté » dans l'école marquerait le retour de l'« ordre moral ». Quand on rapproche ailleurs le
« travailleur exploité » du déporté et les entreprises des camps d'extermination, il n'est guère étonnant de déboucher sur la confusion entre éducation à la citoyenneté et ordre moral. Néanmoins, à défaut de ses contempteurs, le mot de « morale » mérite d'être justifié puisque la philosophie devrait servir à éclaircir les concepts au lieu de les confondre.
2. Depuis une vingtaine d'années, le « politiquement correct » faisait employer à l'en­vi le mot d'« éthique », « ce petit vocable étriqué d'éthique », comme le dit un jour Michel Serres. Par frilosité, par peur d'être renvoyé à l'extrême droite de !'extrême droite, on n'osait plus parler de morale ; la morale dont il est aujourd'hui question dans le discours de Claude Allègre n'est pas cette morale sexuellement obsédée, politi­quement conservatrice et viscéralement haineuse qu'évoque !' « ordre moral ». Je ne vois nulle trace de ressentiment dans la morale républicaine. Elle me semble au contraire plus subversive aujourd'hui que tous les discours individualistes dans lesquels chacun s'ausculte ou se sculpte.
3. Le discrédit du politique, l'accumulation des affaires, la banalisation de la corrup­tion, le sempiternel argument selon lequel « les autres ont fait pareil », la marchandisation des corps, l'eugénisme rampant, le danger du communautarisme, tous ces phénomènes contemporains rendent nécessaire l'affinnation des principes. Le danger qui nous menace est le suivant : qu'on confon­de le fait et le droit ; que les arguments de fait (« les principes de la République sont sans cesse transgressés ») ne se substituent à la volonté de faire passer les principes dans les faits. Bafoués comme ils le sont nécessairement -puisque l'homme reste toujours libre de transgresser -, ces prin­ cipes n'en méritent pas moins d'être ensei­ gnés. En voulant les taire, on propose de démissionner.
4. On ne saurait donc dénier à l'éducation nationale le droit d'utiliser le mot de
« morale ». Il serait même surprenant qu'on ne lui en imposât pas le devoir. La formation d'hommes et de femmes responsables passe par des énoncés de droits et de devoirs. Seuls les adversaires de la République peuvent en disconvenir.
5. Il n'est évidemment pas question que
!'école enseigne une morale individuelle normative qui serait « de retour » pour inhiber les rêves lubriques et les désirs privés des élèves ou étudiants. En revanche, l'école publique a pour mission de former des citoyens et l'idée de « morale civique » est consubstantielle à cette for­mation. ( . . .)

6. Bien distinguer le fait et le droit, déve­lopper les principes et les pratiques de la citoyenneté, favoriser l'exercice du juge­ment politique, étayer l'ensemble sur des textes qui disent le droit et sur d'autres qui montrent ce que furent les débats, luttes et conquêtes qui fondent la citoyenneté, tout ceci n'a strictement rien de commun avec un quelconque ordre moral, dès lors qu'on pense avec des concepts et non des slogans.


7. L'ordre moral est castrateur, la citoyenne­té est libératrice ; l'ordre moral consacre et redouble l'ordre social, la citoyenneté trans­ forme le même ordre ; 1'ordre moral fait régner le silence, la citoyenneté libère la parole ; !'ordre moral exténue le jugement, la citoyenneté est l'exercice même du juge­ ment politique ; l'ordre moral maintient dans l'ignorance, la citoyenneté révèle les droits et les devoirs des hommes et des femmes. L'ordre moral fait le lit de !'extrême droite, la citoyenneté nous en protège. ( . ..)
8. C'est pourquoi brandir l'épouvantail de l'ordre moral quand on évoque l'éducation à la citoyenneté, c'est prendre les lanternes pour des vessies ; la vraie morale se moque de l'ordre moral.

Alain Etchegoyen - Le Monde - 4 novembre 1997

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  • 5 Voici une synthèse du texte : Par crainte de l'ordre moral, la morale est dénigrée. Or, cette notion est rebelle à toute connotation réactionnaire, c'est pourquoi l'École, au nom de la citoyenneté, doit en être le vecteur. En effet, l'exercice de la citoyenneté libère quand l'ordre moral aliène. Une partie fait défaut ; laquelle ? Car l'enseignement de la morale ...
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